Curaçao, le souriceau qui poaime


Flux et reflux

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Atelier 01


Posté le 23/10/10 dans En vrac

Voici un exercice réalisé en cours d'écriture littéraire.

La description

 

·      Temps imparti : 5 minutes

·      Thème : un entretien d’embauche

 

L’homme était debout, frêle presque dans son hésitation. Le bureau du directeur formait un îlot de silence dans l’activité bruyante de la Rédaction et il y semblait égaré, arraché à son milieu. Pourtant, de ses yeux émanaient une énergie peu commune, celle de l’observateur. Ces yeux là, trop clairs, mangeaient tout son visage, pompaient toute son énergie. Son regard aigu volait sur la pièce, détaillant le vieux bureau de noyer, le confortable fauteuil au cuir usé et grinçant, les piles de journaux empilées au petit bonheur la chance le long des murs. L’homme prenait de grandes inspirations qui le redressaient progressivement. La fragrance de l’encre d’imprimerie, montant de la pile d’épreuves à peine sorties des presses fit frétiller ses narines, un sourire monta à ses lèvres, il semblait d’un coup de dix ans plus jeune. Son naturel de reporter avide d’observation avait repris le dessus, il était calme maintenant, prêt à tout.

Face à lui le directeur, un homme d’apparence débonnaire, bon vivant engoncé dans son veston mais n’en possédant pas moins le sens des affaires, trempa une dernière fois sa plume dans son encrier, signa, puis lui adressa un sourire chafouin. L’entretien avait commencé.

Béline Falzon

Octobre 2010

 


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Les mots de Maxime


Posté le 12/10/10 dans Parcours obligé

Les Mots de Maxime

Raidi par de longues heures de chevauchée, Raphaël Rike sauta au bas de sa monture avec une grimace de douleur. Il ne se sentait jamais aussi fourbu qu’après de longues heures de vol sur sa moto des airs. Garant son engin rutilant, équipé du dernier moteur à énergie cosmique, entre une vespa à peine aéroportée et un cyclomoteur fonctionnant visiblement toujours au gasoil, Raphaël commença à se demander pourquoi son contact lui avait donné rendez-vous dans une taverne d’un niveau aussi bas. Encore un peu et il aurait touché le sol.

Encore abasourdi par le silence gris du ciel, l’homme prit de plein fouet l’animation du bouge lorsqu’il en franchit la porte. Sur une scène arrosée de lumières épileptiques, des danseuses au physique avantageux se déhanchaient sur une soupe musicale où ne surnageaient que les basses, puissantes et rythmées. Raphaël en était à détailler une danseuse dont le buste ressemblait bien plus à une plaine qu’aux vallées qui l’environnait lorsqu’un homme en uniforme de serveur lui fit signe de s’installer dans une alcôve un peu plus calme. À sa grande surprise, le serveur s’y assit en sa compagnie.

-  Je suis votre contact, annonça-t-il de but en blanc, tout en lui tendant son poignet où un tatouage lupin prouvait ses dires.

-  Je m’attendais à une femme, lâcha Raphaël, méfiant.

-  Et moi à un musicien errant, rétorqua le serveur.

-  Ça peut s’arranger…

Et l’homme sortit de son blouson de baroudeur au cuir usé une petite flûte de cristal dont il tira une mélodie légère, entraînante. Son vis-à-vis lui lança un regard assassin puis ôta le collier ras-du-cou dissimulé sous le col de sa chemise. Sa silhouette se brouilla un instant et le serveur brun, banal et passe-partout se transforma en une rousse flamboyante au regard de bronze terni. Rike se félicita intérieurement que le QG ait décidé l’attribution d’un si charmant contact puis héla un véritable serveur et commanda de quoi se rafraîchir le gosier. Il attendit que son contact fisse son choix (sans alcool nota-t-il) avant de lui lancer nonchalamment :

-  Je croyais que FlorenceTM interdisait aux hommes de se produire sur scène depuis le scandale de son PDG gogo-danseur…

La rousse sourit machinalement en retour

-  On m’avait prévenu que c’était obsessionnel chez vous.

-  Les danseurs ?

-  Observer.

-  Cela m’évite bien des mésaventures. Nombre de risques s’évitent.

-  Vous en prenez pourtant beaucoup !

-  Jamais lorsqu’ils sont inutiles.

Elle savait s’avouer vaincue et Rike était aussi intraitable que son ton inflexible. Le serveur revint à point nommé, apportant les boissons, et elle patienta jusqu’à son départ pour poser la question fatidique :

-  Alors, quelles nouvelles de l’Ouest ?

Raphaël prit le temps de boire une gorgée du (mauvais) whisky qui lui avait été servi avant de répondre et elle entraperçu à cette occasion le loup, frère du sien, tatoué sur son poignet. L’homme reposa doucement son verre.

-       Quelques bonnes mais beaucoup de mauvaises, annonça-t-il laconiquement.

Il se plongea ensuite dans un compte-rendu détaillé de la situation précaire de la résistance valadorienne. Depuis cinq ans déjà, le Conglomérat des Entreprises Détentrices de Ressources Essentielles, Le Cèdre, avait envahit les deux dernières cités franches d’Europe, Valia et Doria, dont les entrepreneurs résistants s’étaient unis sous l’égide du Roi-PDG pour une offensive qui défrayait les cours de la bourse en plus de la chronique depuis déjà deux semaines. L’eau, dernier monopole valadorien et otage du conflit, voyait son prix au baril frôler des sommets encore jamais atteints. Les plus pauvres, incapables d’acheter ne serait-ce qu’une bouteille d’un liquide à peu près potable, mourraient par milliers dans les bas-fonds surpeuplés des cités-mondes pendant que les nantis des niveaux supérieurs sirotaient de l’eau de source dans des coupes en véritable bois de la planète Terre. La Terre où, rats quittant le navire condamné, allait s’échouer toujours plus de miséreux, eux-mêmes contraints à errer dans les ruines radioactives de la Troisième Guerre mondiale, qui avait sonné le glas des États et d’où n’émergeaient plus que les villes-bulles, interdites d’accès aux non-salariés des banques qui y régnaient.

Les deux résistants poussèrent un énorme soupir. La lutte n’allait pas sans sacrifices, ils en étaient tous deux conscients, mais la situation rendait Valadoria et quiconque s’en réclamait très impopulaire. Noyant ses états d’âme dans sa dernière gorgée d’alcool, Raphaël s’autorisa une légère détente : son rapport était transmis, son whisky pas si mauvais que ça et son contact très joli. Ce dernier d’ailleurs se tortilla bizarrement sur sa chaise avant de lancer :

-       Dehors, c’est comment ?

Raphaël sourit, amusé : on en venait toujours là avec les citadins.

-       Florentine ?

-       De naissance, acquiesça-t-elle.

Il sourit de nouveau et commença à raconter les rivières, les champs, les bois et le clair de Jupiter, gazeux et superbe avec ses anneaux de météorites. En un mot, la campagne et sa verdu…

Brusquement, dans un effet Larsen atroce, la musique s’arrêta et, au milieu des cris de panique, une fenêtre proche implosa, lardant les consommateurs d’éclats de plasto-verre brûlants. D’un même geste, Raphaël et son contact s’étaient jetés à l’abri de la table et un moment de confusion s’ensuivit où la rousse, le nez écrasé sur le cuir du baroudeur, luttait pour se dégager alors qu’il la maintenait d’une douloureuse clé d’épaule. Réalisant la situation, il la lâcha avec un grommellement d’excuse.

-       Les habitudes de la Milice…

Parmi le chœur des cris de panique, une voix forte se mit soudain à gueuler des ordres.

-       En parlant de la Milice, lança la rousse, je pense que vos ex-petits potes nous cherchent.

Ils échangèrent un long regard puis, sans plus hésiter, bondirent vers l’issue la plus proche… bloquée par des miliciens lourdement armés. Changeant de direction aussi sec, ils se plongèrent dans l’ombre d’une alcôve où un verre renversé achevait de répandre son précieux contenu sur le sol. Après un moment d’observation et de réflexion, Raphaël Rike annonça froidement :

-       Me défenestrer n’est pas mon passe-temps favori, mais je crois que nous n’avons pas de meilleur choix.

Son contact grimaça : elle en était arrivée à la même conclusion. Par chance, la fenêtre brisée donnait sur le parking et seuls cinq gardes en barraient l’accès. D’un geste fluide, Rike dégaina deux discrets Beretta. Il en proposa un à son contact mais celle-ci était déjà en train d’armer son Remington. Il eut un sourire appréciateur : ce pistolet dans cette main fine, c’était sobre, élégant, efficace ; l’essence même de l’arme à feu. La jeune femme se signa, réflexe hérité de l’Ancien Temps, implora brièvement le divin puis se leva et bondit dans l’action, sans un coup d’œil pour son coéquipier qui, sans s’en offusquer, s’y jeta à son tour. Quelques détonations, le sifflement rasant des balles, le plasto-verre fondu collant à ses semelles et l’éclat rouillé d’une tignasse bouclée : Raphaël percevait avec une acuité décuplée par l’adrénaline chaque seconde de l’échappée. Son contact, un peu lente à tirer, compensait par la justesse de ses tirs. Elle avait abattu deux des gardes avant même qu’ils ne réalisassent être attaqués. Raphaël expédia les trois restants en Enfer, bondit à la suite de l’éclair roux par la façade éventrée et bénit son mécano qui, prophète à ses heures perdues, avait renforcé son endosquelette en lui prédisant de durs temps à venir. Le choc avec le sol, quatre mètres plus bas, fit à peine grincer l’acier de ses jambes et déjà il courait pour rattraper son contact qui, esclave de l’innovation et de la modernité, avait choisi un corps entièrement androïde et très amélioré vu la vitesse à laquelle elle galopait vers les motos.

Le temps qu’il la rejoigne, elle tentait pour la troisième fois de démarrer la vespa que Raphaël avait remarquée en arrivant. Pestant contre son véhicule, la jeune femme le traitait de tout un panel coloré de termes évoquant toujours le digne métier de prostituée. Relevant les yeux pour surveiller la progression des mercenaires lancés à leur poursuite, elle tomba nez-à-nez avec Raphaël. Un instant interdite devant son sourire moqueur, elle lâcha finalement, désemparée :

-       Cette vieille pute m’abandonne !

Grand seigneur, l’homme lui tendit son casque qui avait roulé au sol et lui fit de la place sur sa propre bécane.

-       La Milice, c’est pire qu’une mafia : plutôt que de voler le bien d’autrui, elle le bousille. Heureusement que mon bébé est blindé.

Et sans plus s’attarder, il alluma son moteur et fonça au milieu du trafic, montant à pleine vitesse vers les niveaux supérieurs et hors la ville. Cramponnée à sa taille, sa passagère lui hurla à l’oreille :

-       J’ai pas de parachute moi !

-       Moi non plus ! lui répondit-il sur le même ton.

-       Et la sécurité ?

-       Une fable.

-       Et le casque alors, il sert à quoi alors ?

-       À se protéger des excréments d’oiseaux !

Raphaël accéléra encore et son contact éclata d’un rire nerveux.

-       Et c’est quoi le nom de ton bolide ?

-       C’est une Especta 500 !

Cette fois-ci la jeune femme rit sincèrement :

-       On dirait un nom de médoc !

Le motard poussa son moteur au maximum et louvoya entre une benne à ordure et un taxi, semant leur ultime poursuivant, puis enchaina sur une descente à pic de plusieurs niveaux.

-       AaaaAAah !… Je retire ce que j’ai dit sur ton sérénissime bolide des airs !

Raphaël ralentit un peu et, dix minutes plus tard, ils quittaient la ville.

Le soudain passage des gratte-ciels immenses à l’espace infini tira un sifflement admiratif à la passagère. Hors de la cité, le silence était parfait. Longtemps silencieuse, la jeune femme admirait le paysage. Ce ne fut qu’après près de deux heures de vol qu’elle prit la parole :

-       Il semble que nous ne sommes pas poursuivis. Où allons-nous maintenant ?

Raphaël sourit au vent.

-       Rétablir un régime digne de ce nom.

-       Nous rejoignons le roi ?

-       La monarchie, le meilleur des régimes ? Vous n’avez pas lu Platon, vous.

-      

-       La république, jeune femme, la République.

-       Mais… Et Valadoria ?

-       Un premier pas.

-       Tu… Tu es un idéaliste !

Dans sa bouche, les mots sonnaient comme une insulte. Raphaël sourit intérieurement. Depuis longtemps déjà le politique, supplanté par l’économique, maintenait la population sous son empire. Il fallait que cela cesse.

-       Et… Ça fonctionne comment la république ?

L’ex-milicien sourit. Tout n’était pas perdu. Quelque soit son passé, quoi que l’avenir lui réservât, l’espoir d’une rédemption renaissait en lui.

-       La République, jeune femme…

-       Derius, je m’appelle Derius !

-       La République, Derius…

Et tandis qu’un clair de Jupiter se levait sur Europe, Raphaël Rike rêva un autre monde.


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Les mots d'Inès


Posté le 01/09/10 dans Parcours obligé

Les mots d’Inès

 

Une histoire de contraintes dans le Paris du XVIIIème siècle

 

 

 

Ce soir-là, un ciel acrimonieux jetait sur Paris bourrasques et averses, comme autant d’insultes. Les rares ombres se pressaient entre les halos tremblants des réverbères, l’œil baissé, la main sur le col de leurs manteaux. Même les rues du Pélican ou Saint Nicaise étaient désertes. L’ambiance chaude à l’intérieur des maisons closes n’en était que plus exotique. Une silhouette justement, après un regard à gauche et un second à droite, se glissa entre les battants de la porte d’une demeure cossue ornée de la significative lanterne rouge. À l’intérieur, une femme en léger déshabillé de soie violette mena le nouvel arrivant à travers un labyrinthe de salons privés jusqu’au pied d’une étroite volée de marches. « C’t’en haut d’l’escalier, mon chou. » lâcha-t-elle avant de s’en retourner à d’autres activités plus ou moins licites. D’un pas alerte, le jeune homme monta à l’étage et ouvrit la seule porte du minuscule palier sans frapper.

La pièce enfumée était remplie d’hommes élégamment vêtus, boucles brillantes à leurs escarpins, perruques poudrées même pour certains, qui relevèrent la tête en sursaut, cachant par réflexe leurs cartes.

-            Val ! s’écria un joueur à la sombre barbe soignée, déployant en se levant une stature digne d’un bûcheron et des bras musculeux qu’il ouvrit grand en geste d’accueil.

-            Christian, répondit l’autre sobrement, je ne m’étonne pas de vous trouver dans un tel établissement…

Le ton était réprobateur, mais un sourire y perçait, l’air de rien, et le nouvel arrivant accepta l’embrassade malgré le risque d’y être broyé.

-            Mes amis, annonça solennellement Christian, permettez-moi de vous présenter Valérian de la Trémondine.

Il y eut un silence, quelques sourires : le jeune homme, avec son catogan de cheveux blonds soyeux, ses yeux clairs et francs, sa stature fluette et la noblesse un peu dédaigneuse de son port de tête, offrait un contraste saisissant avec Christian. Ce dernier reprit :

-            Tout juste arrivé à la cour, son fleuret, qu’il est toujours prompt à dégainer, est déjà source d’exploits amplement répandus !

Des murmures incrédules se firent entendre mais, sans se démonter, Valérian lança à la cantonade :

-            Messieurs, veuillez pardonner à mon ami ses exagérations : c’est que lui-même ne sait dégainer efficacement d’épée que celle qui lui pend entre les jambes…

Sa répartie lui attira la sympathie d’un éclat de rire général et Valérian fut aussitôt intégré à la table de Christian. Tandis que l’on distribuait les cartes, le brun se pencha vers Val.

-            Aussi fine mouche que fine lame… Vous les avez conquis, dit-il en désignant les gentilshommes présents.

Val sourit puis parla, soudain sérieux :

-            Pourquoi m’avoir fait appeler dans ce tripot biscornu ? Pour vous guider dans le dédale des salles moelleuses quand vous serez soûl ? Pour éponger vos dettes de jeu ? Ou bien pour…

Christian le coupa d’un geste :

-            Rien de tout cela mon ami.

Il se rapprocha un peu plus et reprit tout bas, entre deux tours de jeu :

-            J’ai du nouveau dans l’affaire de la perle. Il semblerait qu’elle ai été acquise par un marquis. Eut égard à sa taille peu commune, il veut l’utiliser dans une expérience d’alchimie.

-            Peuh !

Valérian, toute ouïe, avait perdu sa mise et son exclamation signifiait tout autant son dépit que son dédain : expérimenter sur un tel bijou lui semblait un gâchis sans pareil. Passant le tour suivant sous prétexte de fumer, il bourra soigneusement sa pipe, l’alluma, en tira quelques bouffées et demanda enfin :

-            Et comment avez-vous obtenu ce renseignement ?

-            Mes relations dans la Police m’ont permis de rencontrer le voleur qui a été embastillé pour avoir détroussé le commerçant indien désireux de vendre la perle au roi. Après avoir été soumis à la question, il a été ravi que je lui offre quelques écus plutôt que quelques coups pour le faire parler.

Val tira pensivement sur sa pipe puis, après un regard rapide mais acéré sur les autres joueurs, il murmura à l’oreille de Christian :

-            Nous en reparlerons plus en détails dans l’intimité de votre bunker, cher ami, trop de gens ici peuvent nous entendre.

Val resta un ou deux tours encore, lança deux ou trois bons mots puis prit congé de la table et s’en fut, un sourire énigmatique distraitement accroché à ses lèvres aristocratiques.

 

***

 

-            Val, lâchez ce trombone voulez-vous, cela m’agace à la fin. Et laissez aussi mon encrier tranquille. Vous avez provoqué suffisamment de dégâts pour aujourd’hui.

Le jeune homme s’exécuta et laissa tomber le fil de fer plié sur le bureau du brun puis, passant son bras gauche sur le dossier de sa chaise, prit une pose indolente et un air insolent qui enragèrent d’autant plus Christian.

-            Non seulement vous imprimez votre article sur MA presse secrète, dans MA cave, mais de surcroît vous le signez de votre vrai nom, prêtant le flanc à un duel contre le marquis et portant l’attention du roi sur notre cercle.

Un petit sourire en coin s’alluma dans les yeux du blond :

-            Ne vous souciez dont pas tant pour votre ami Diderot, le roi a bien assez de mal à fermer les imprimeries officielles pour s’inquiéter des officieuses. Et puis, il fallait vous douter que j’agirais ainsi : j’aime collectionner les scandales comme d’autres les boniments des voyantes gitanes ou les bonbons au caramel.

-            Mais vous l’aviez déjà votre scandale ! Le roi de France, Louis XV en personne, volé par un marquis, cela ne vous suffisait pas ?

À ces mots, Val bondit sur ses pieds, soudainement enthousiaste, arpentant la pièce comme un juge en plaidoirie.

-            Allons Christian ! Ce genre d’histoire sordide devient scandale uniquement lorsque la plèbe est au courant, quand tous les vendeurs de journaux le crient haut et fort dans les gros titres. Avant, ce n’est qu’un ragot, chuchoté, rapidement étouffé et tout aussi vite oublié, aussi croustillant soit-il.

Valérian avait saisit Christian par l’épaule et son ton se fit plus passionné encore :

-            Vous qui vous battez pour que l’Encyclopédie voit le jour, comment pouvez-vous renier ma quête d’une vérité à laquelle tous les sujets, non, les citoyens plutôt, auraient librement accès ?

Troublé par le magnétisme éclatant du regard clair qui le fixait, plein d’espoir et de révolte, Christian se dégagea doucement.

-            Bel avenir que vous nous préparez là, Valérian, et je partage vos idéaux, mais c’est un présage plus sombre qui noircit le vôtre ; le marquis est un fin bretteur et vous pourriez être blessé – voire tué ! – lors du duel demain.

Val sourit, retrouvant son noble flegme aussi vite qu’il s’était laissé emporter.

-            Voilà donc ce qui vous taraudait ! En vérité, ma vie était l’objet de votre préoccupation… Ne vous souciez dont point d’une telle broutille ; ce marquis est un couard et même s’il gagnait il n’oserait m’achever. Les alchimistes n’ont qu’un but : créer, et non détruire. Je ne risque que mon honneur et mon corps.

Joueur, Valérian fit quelques pas en claudiquant.

-            Ne pensez-vous pas, reprit-il, que boiter ajouterait à mon charme ? Comme une sorte de disgrâce qui ne serait que mienne.

Christian le suivit du regard, le visage fermé.

-            Votre beauté en elle-même est un sceau unique Valérian, ne soyez donc pas si impatient d’y graver les balafres que le temps ne manquera pas de lui infliger.

Le brun fixait le blond avec une intensité qui troubla le jeune aristocrate. S’approchant de l’homme au regard sombre, Valérian leva la main, hésitant, ayant abandonné soudain toute sa superbe. Timidement, il effleura la joue gauche de Christian où la barbe soyeuse cachait, il le savait, la cicatrice bien nette d’un barbier maladroit. Valérian baissa les yeux, fort embarassé.

-            Pardonnez-moi, mon ami, chuchota-t-il finalement.

Christian saisit avec tendresse la main du jeune homme et répondit :

-            Tâchez de rester en vie, Valérian, c’est tout ce que je vous demande. Six mois à peine que vous êtes à Paris et voilà déjà votre quatrième duel.

-            C’est que je m’ennuyais tant en province, coincé entre mes vieux parents et mes petites sœurs, si adorables soient-elles !

 

***

 

-            Mais c’est de la sorcellerie ! s’écria le duc de Goustant, témoin du marquis, quand Valérian envoya voler d’une botte habile le fleuret de son adversaire pour la troisième fois depuis le début du combat, adversaire qui se jeta à terre pour esquiver l’attaque suivante et récupérer son arme.

Les deux combattant se valaient mais Christian, confiant, répondit tranquillement :

-            Non point, Monsieur le Duc, seulement du talent et de nombreuses heures d’ennui.

Et par devers lui, il ajouta « et des centaines d’entraînements sous la main de fer de mon redoutable maître d’arme de père !».

-            Vous connaissez Monsieur de Trémondine depuis longtemps ? s’enquit le duc

-            Depuis toujours ! répondit Christian avec emphase. Un de mes premiers souvenirs d’enfance est d’avoir assisté à son baptême. Je devais avoir 5 ou 6 ans.

Devant l’étonnement de son interlocuteur et pendant que le marquis et Valérian s’affrontaient à grand renfort de cris, de mouvements de manches et de bruits de ferraille, Christian expliqua que, bien qu’ayant vécu toute sa vie à Paris, les domaines de sa famille étaient voisins de ceux des Trémondine, amis de longue date qu’ils voyaient donc à chaque retraite campagnarde.

-            D’ailleurs, depuis la mort de ma mère, mon père ne quitte plus le manoir que nous avons là-bas.

Le Duc, compatissant, approuva d’un air grave :

-            Chasse, grand air, repos, voilà de quoi tirer un homme de l’abysse du chagrin ! Moi-même…

Une exclamation plus forte que les autres coupa le Duc. Après avoir torpillé sans relâche le marquis, réduit à parer et à contrer sans pouvoir attaquer, Valérian avait tenté le tout pour le tout et, au prix d’une légère blessure, l’avait de nouveau désarmé, sans échappatoire possible cette fois-ci. Bon joueur, le marquis admit sa défaite ; s’inclinant légèrement, il tendit à son vainqueur une bourse de velours avant de prendre congé en compagnie du Duc. Seuls dans la clairière, Christian et Valérian s’assirent sur l’herbe. Le ciel dégagé promettait une belle journée et, sous l’ampleur de l’effort, la sueur perlait au front de l’escrimeur.

-            Qu’allez-vous faire de la perle maintenant qu’elle est à vous, Valérian ? demanda le brun.

-            L’offrir gracieusement au roi ! s’exclama le jeune homme. Ainsi, vous et votre imprimerie secrète connue de tous serez en sécurité.

Christian, ému, voulu serrer le bras de son ami en signe de gratitude, mais celui poussa un gémissement de douleur.

-            Mais vous êtes blessé ! s’écria-t-il, déboutonnant prestement et sans manière l’ample chemise plastronnée qui se teintait de sang.

-            Ce n’est rien, une estafilade, se déroba Valérian, pourtant bien pâle.

Enfin le dernier bouton céda et découvrit un torse musclé abondamment couvert de courts poils blonds. Un instant décontenancé, Christian se reprit et lança, tout en pansant le bras blessé avec un morceau de chemise :

-            Vous velu ! Voilà qui ferait jaser ces demoiselles.

Taquin, Valérian répondit avec aplomb :

-            Je préfèrerais faire jaser ces messieurs…

Scandalisé, Christian observa l’effronté un long moment. Puis, tout doucement, il se pencha pour lui chuchoter à l’oreille :

-            Et dire qu’il fut un temps où vous désapprouviez mon orientation !

Le jeune homme déposa un léger baiser sur la pommette du brun et murmura :

-            J’étais une mijaurée engluée de principes.

-            Et maintenant ? souris Christian à travers sa barbe

-            Maintenant…

Valérian regarda Christian dans les yeux avant de l’embrasser profondément.

-            Maintenant, si vous saviez comme je m’en contrefiche ! répondit-il enfin.

 


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Les mots d'Élise


Posté le 18/07/10 dans Parcours obligé

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les mots d'Élise


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Darker than Black


Posté le 16/06/10 dans En vrac

2. La description romanesque :

Sujet : en une page environ, décrivez un objet représentatif d’un personnage comme la casquette de Charles Bovary dans le texte de Flaubert.

 

Plus sombre que l'obscurité

 

Peut-être n’était-ce qu’une veste. Et peut-être était-ce beaucoup plus que cela : sa veste. Car en lui appartenant elle se parait du même charme insondable que son propriétaire. Mystère étrange et a jamais irrésolu que cette alchimie, cette symbiose entre un simple morceau de tissu et un être humain. Énigme complexe qui reste ancrée dans ma mémoire et à laquelle je vais maintenant tenter d’apporter quelques éléments de résolutions.

Cette veste, c’était d’abord une coupe : droite, sans prétention, simplement masculine. Elle retombait avec une classe et un chic inimitables ne pouvant qu’attirer envie et jalousie. Elle aurait sublimé n’importe qui, lui conférant la prestance du mannequin et le charisme de l’homme politique en campagne. Des poches dissimulaient leur présence en s’abstenant de posséder un rabat. Quant à son système de fermeture, il se composait de trois boutons noirs auxquels quatre autres plus petits venaient faire échos en ornant chaque manche.

Cette veste, c’était ensuite une couleur : l’ombre profonde d’un noir de jais. Ténébreuse clarté de ce noir qui rayonnait partout où passait le possesseur de la veste, comme aurait brillé l’éclat mat de l’obsidienne. Ce chromatisme aile de corbeau n’avait rien de sinistre comme aurait pu l’être l’ébène des vêtements de deuil. Il se rapportait plutôt à l’obscurité d’une nuit d’été, d'un 14 juillet où l’on sait que l’opacité du ciel va bientôt s’illuminer de dizaines de fleurs flamboyantes. Pareil à la luminosité des feux d’artifices, le noir de cette veste restait longtemps imprimé sur la rétine.

Cette veste, c’était enfin une matière : le côtelé d’un velours à la douceur ineffable. Un tissu unique, spécial, qui semblait à la fois léger et chaud et dont le contact n’était que pur bonheur. Caresser ce velours était frôler la perfection du bout des doigts, comme si effleurer les plumes des anges pouvait donner une idée du paradis. Encore aujourd’hui je me demande quelle sensation sans doute indicible pouvait provoquer le fait de porter cette veste, seulement séparée de la peau par l’épaisseur insignifiante d’un T-shirt.

C’est un doux euphémisme que d’écrire que jamais vêtement n’avait tant attiré le regard. Que cette veste fut portée ouverte ou fermée, qu’elle fut jetée avec nonchalance sur l’épaule ou encore qu’elle fut posée sur un dossier de chaise ou roulée en boule dans un coin, elle gardait une élégance magnétique qui ne pouvait que séduire.

Séduction qui avait d’ailleurs parfaitement fait son effet lorsque, au premier jour du printemps, son possesseur avait abandonné son manteau d’hiver comme le serpent sa vieille mue, avait enfilé sa veste sans même y penser et s’était tout naturellement rendu en cours. Quand l’adolescent et sa veste étaient apparus, il y avait eu un moment de stupeur, puis je me souviens avoir pensé que j’étais amoureuse sans bien savoir qui, du vêtement ou de celui qui le portait, provoquait cette réaction.

Béline Falzon

Seconde 17


C'est vraiment un vieux truc que je vous ressors : je l'avais écrit en Seconde pour un devoir de français.

Je suis retombée dessus aujourd'hui et j'ai trouvé ça marrant (je m'étais foulée pour les adjectifs en tous cas !).


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