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Chapitre 2


Posté le 04/12/10 dans Chapitres - Deux : Trois enterrements

Trois enterrements

 

Ce sombre pressentiment atteignait son paroxysme lorsqu’un bruit discret perturba le chant des oiseaux. Je l’identifiai comme celui d’un rotor et tournai la tête : l’hélicoptère privé de mon oncle amorçait sa descente vers moi. Anthony Montale, 45 ans, frère cadet de mon père descendit de l’engin avec l’aisance que donne l’habitude. Il avait tout du requin de la finance : le costume sur-mesure, la démarche assurée et le charisme. Avec, en bonus, une lueur inquiétante dans ses yeux souvent cernés qui lui permettait de faire obéir n’importe qui d’un seul regard.

Il m’aperçut, me fit un signe du bras puis se dirigea vers moi.

-       Magnifique ! Comme d’habitude, tu es toujours ponctuel sans le vouloir. Moi qui pensais te faire la surprise en te réveillant…

Je me contentai de hausser les épaules. Comme si j’étais du style à faire la grasse matinée. Il me serra dans ses bras un instant, en remerciant le ciel d’être si bleu et le soleil si brillant, puis enchaîna sur le bonheur de me voir et le plaisir qu’il avait à prendre un jour de repos en ma compagnie. Vous noterez que mon oncle avait la mauvaise habitude de beaucoup parler, surtout avec moi. Une manière comme une autre de contrebalancer mon silence, somme toute. Une manière aussi de compenser son manque d’affection réelle pour moi, qui était tout de même son neveu et l’unique rescapé de sa famille.

-       Allons-y maintenant. Il est grand temps d’y aller

Je le suivis à bord de l’hélicoptère, qui décolla dès que nous fûmes attachés. J’appréciais pleinement le silence du vol et la vue superbe qu’il offrait sur New York, lorsque mon oncle repris :

-       Alors, que penses-tu de ma petite surprise ? C’est plus agréable que de faire deux heures de trajet en bus, non ?

Je hochai laconiquement la tête. En vérité, cette surprise ne m’enchantait guère. Prendre le bus pour rejoindre la ville natale de mon père, puis marcher à travers champs jusqu’au cimetière où ils étaient tous trois enterrés constituait une sorte de pèlerinage spirituel que j’aimais accomplir seul tous les ans. Mais cette fois-ci, Tonton Tony en avait décidé autrement, et il était impensable de ne pas respecter sa décision.

Mon oncle se lança alors dans un monologue où il évoquait tour à tour les missions accomplies et à venir, la situation dans tel et tel quartier, les relations tendues avec les autres mafias, italiennes ou non, la légalisation progressive de nos activités au fil de pression sur le gouvernement et autres sujets de ce genre. Je le laissais discourir et me plongeai dans l’observation de la ville, 200 mètres en contrebas. Je tentai sans succès d’appréhender l’existence de tant d’êtres dans si peu d’espace. Tous ces gens s’aimaient et se haïssaient tour à tour, entrecroisant à l’infini leurs destins pour former une trame sur laquelle le moindre de leurs gestes, immuables et éternels, tissaient des motifs étrangement répétitifs. La hauteur que j’avais prise sur cette multitude grouillante m’avait révélé une cohésion inattendue. La vitesse et l’éloignement progressif me permettaient d’observer un minuscule morceau de cette tapisserie qu’est la vie.

Au milieu de cette vision pourtant calme, ma nervosité recommença à monter. Peut-être était-ce la sensation de ne pas appartenir à l’ouvrage ? D’être un fil de laine raté, trop laid pour en faire partie et qui a été abandonné dans un coin ? Une douleur naquit entre mes côtes, symbole criant de mon mal-être. Me fermant à mon corps, je noyais l’inquiétude dans le flot de paroles dont mon oncle m’abreuvait.

-       … et finalement c’est Andreo, celui qui n’a plus que trois doigts à la main gauche, qui a réglé l’affaire. Pour parler sincèrement, j’aurais préféré que ce soit toi. Tu fais ce genre de choses beaucoup plus proprement. Tu évites de tuer si ce n’est pas nécessaire, et s’il le faut tu exécutes sans douleur. À quoi ça sert de faire souffrir la victime, puisqu’elle meurt de toute façon ? L’impact sera le même sur son entourage ! Tu as du tact, de la discrétion et le sens de la mesure. Ce sont des qualités que j’apprécie chez toi.

Hum. Ce genre de compliments n’était jamais dénué de sous-entendu chez mon oncle. Un Français aurait dit : « il y a anguille sous roche ». Je me contentai de froncer légèrement les sourcils et laissai filer. Anthony Montale savait parfaitement manipuler son monde et je me doutais que le dénouement ne tarderait pas. Mon oncle se tut puis, quand le silence devint trop lourd, enchaîna sur un sujet quelconque, une histoire de tractations avec les yakuzas de Brooklyn. Je ne l’écoutais que d’une oreille. Le pincement était revenu, et je tentai une approche différente. Je me concentrai sur ce petit pincement de peur au fond de l’estomac, peur qui menaçait de devenir panique. Vraiment intriguant. La dernière fois que j’avais ressenti ça, c’était dix ans auparavant, quand les clés avaient cliqueté dans la serrure et que j’avais vu ma famille pour la dernière fois. Ça ne me disait vraiment rien qui vaille. Mais alors rien du tout. Je fronçais les sourcils : Luciano était le seul à être en mission, mais il ne risquait rien puisqu’il servait d’agent dormant au fin fond de la cambrousse brésilienne. Le seul autre absent était Luiggi, qui pleurait à l’enterrement de sa grand-mère dans le Texas. Pas d’inquiétude à avoir. Alors qui ? Je jetai un coup d’œil à mon oncle qui, pour une fois, se taisait un peu. Il me regardait attentivement.

Je me raclai la gorge :

-       Euh… J’ai raté quelque chose ?

-       C’est… Non, rien de bien important.

Il me fit un sourire un peu faux, qui ne masqua pas sa déception. Je ne me sentais absolument pas coupable, mais j’eus la bonne idée de le paraître. Mon oncle changea brusquement de sujet pour détendre l’atmosphère.

-       Regarde, nous arrivons ! Prépares-toi à descendre, fiston. Fais attention.

Je riais intérieurement tout en descendant l’hélicoptère. C’est moi qui aurais dû dire ça, pas lui. Je sautai lestement à terre et courus avec légèreté jusqu’à un endroit plus calme. Le vent provoqué par le rotor agitait l’herbe haute du champ en jachère où nous nous étions posés. Je souriais encore en moi-même quand Anthony me rejoignit. Cela me faisait toujours bizarre qu’il m’appelât fiston, les souvenirs des Noël en famille revenaient soudain à ma mémoire. Même si ce petit nom était désormais presque dépourvu d’amour, l’entendre éveillait toujours en moi un petit quelque chose de joyeux. Les pales cessèrent lentement de brasser l’air, dissipant cet écho de nostalgie et rendant à la campagne sa quiétude habituelle.

Le blé se balançait lentement sous la brise. Reliés à la terre par d’épais câbles qui semblaient des cordelettes, des Éoles ondulaient dans le vent. Ces cerfs-volants, versions modernes des éoliennes jugées trop peu productives, étaient de vastes voiles, plantes pâles vivant d’air et d’eau fraîche. Naturellement productrice d’hélium, elles flottaient au gré du vent, ancrées au sol par des câbles bourrés de technologie dont les mouvements produisaient de l’électricité. Le ciel de la campagne américaine en était rempli, et je leur trouvais une grâce et une légèreté extraterrestres. Je continuais mon panorama et aperçu enfin ce que je cherchais : un chemin menait à un bois, quelques centaines de mètres plus loin. Premier petit pincement au fond du ventre. Je me mis en marche, mon oncle me suivant de près. Le soleil au zénith écrasait les champs.

Nous franchîmes bientôt l’orée du bosquet. Second pincement viscéral. L’été resplendissait même dans le sous-bois. Le soleil jouait dans le feuillage, créant des ombres mouchetées de lumière verte. À mes pieds, un tapis de mousse et de feuilles amortissait mes pas. S’il n’y avait pas eu mon oncle pour pester contre les branches trop basses, je me serais cru seul à me promener tranquillement. Mais non : nous étions le 7 Août 2041 et je marchais en compagnie de mon Tonton vers le cimetière où reposait ma mère, mon père et ma sœur, morts dans un « accident » de voiture dix ans auparavant. Cet amer constat, en totale contradiction avec le chant des oiseaux, provoqua un nouveau pincement dans mon ventre, beaucoup plus violent cette fois-ci.

Je soufflai doucement par le nez pour chasser la douleur physique, mais le sentiment oppressant de marcher au bord d’un gouffre resta. Ce néant lumineux, je le connaissais bien : c’était le vide qu’avait laissé ma famille, tout cet amour perdu, sans doute sacrifié pour quelques kilos de drogues ou pour le contrôle d’un quartier plus rentable qu’un autre. La sensation était revenue et respirer devint pénible. Je jetais un coup d’œil à mon oncle qui marchait maintenant silencieusement. Malgré l’apparente unité de son visage, je décelais dans les fines rides au coin de ses yeux et dans son regard absent et troublé le chagrin qui ne voulait pas me montrer. Étant moi-même sans cesse en train de réprimer mes émotions, je parvenais à lire et à deviner celles des autres avec une intuition quasi infaillible.

Ma respiration se fit encore plus difficile. La douleur était une des raisons pour lesquelles je verrouillais si profondément mes émotions et mes sentiments : ils étaient source de failles. Comme à tous les mutants, le Papillon me faisait ressentir physiquement des choses ordinairement plus mentales. J’avais souvent bien du mal à différencier ce que je ressentais de ce que j’éprouvais. Nuance subtile mais importante. Lors d’un combat, éprouver de la peur signifiait souffrir. Souffrir signifiait être moins efficace. Et cette perte d’efficacité pouvait conduire à la mort. J’étais loin d’être le seul mutant à dissimuler mes émotions ainsi. Loin d’être le seul utilisé pour combattre aussi : il suffisait de regarder les arènes, où quasi totalité des gladiateurs étaient mutants et, aux yeux de nombreux spectateurs, pas tellement différents des chimères bestiales fabriquées en laboratoire.

Après la vague de contamination, il ne restait déjà que trois milliards d’êtres humains sur Terre. Ce chiffre avait encore baissé suite aux suicides de nombreuses personnes, que ce soit des mutants ravagés par la douleur due au chagrin de la perte de proches ou plus simplement des hommes et des femmes ayant perdu foi en la vie. J’avais eu la chance de ne compter dans ma famille que la mort de cousins éloignés et de ma grand-mère. Même si cela avait été triste, ma mutation et les problèmes qu’elle entraînait m’avaient distrait du deuil.

Merde. Après avoir pensé à un truc si déprimant, j’avais tellement mal qu’il me fallut marquer une pause. Voilà pourquoi je ne m’autorisais jamais à éprouver quoi que ce soit. Le stade des simples pincements était largement dépassé et j’avais désormais envie de vomir les quelques céréales avalées ce matin. Je poursuivis quand même mon chemin. Même après dix ans, j’avais toujours aussi mal. Mon oncle était devenu aussi muet que moi et seuls les craquements sinistres de nos pas sur les feuilles mortes emplissaient l’espace. Une lumière filtrant à travers les troncs m’indiqua la proximité d’une trouée. La nausée s’était muée en une douleur qui, partant de mon ventre, s’étendait lentement à ma poitrine et m’empêchait de plus en plus de respirer. Que la scène se reproduise depuis dix ans à l’identique n’émoussait en rien la souffrance, au contraire.

Ce fut haletant que j’entrai dans la vaste clairière bien connue. Seul au centre de cette pelouse naturelle, un chêne centenaire ombrait quelques tombes éparses vaguement clôturées. Je ralentis encore le pas et ce fut sur un rythme d’errance que j’approchais de l’endroit où trois tombes se serraient comme pour se tenir chaud. D’une simplicité modeste, elles ne portaient que trois noms et trois dates : Giuseppe Montale 1993-2031 ; Elena Montale 1991-2031 ; Lili Montale 2018-2031. Aucune inscription, aucun chichi : lorsque les pompes funèbres avaient demandé une épitaphe, mon oncle ravagé par un chagrin lyrique s’était contenté de répondre qu’aucun mot ne serait jamais assez fort pour exprimer la perte de ces trois personnes chères à son cœur.

Je poussai un soupir qui ressembla à un râle en regardant la roche polie à l’assaut de laquelle partaient boutons d’or et liserons. Je tombai à genoux, baissai la tête et me mis à respirer tout doucement. L’émotion reflua doucement et la douleur avec elle, ne laissant que ce trou béant qu’avait créé leur mort. La voix brisée de chagrin, mon oncle murmura :

-       Ça fait toujours aussi mal, pas vrai ?

Je levai lentement le regard vers lui. Ses yeux brouillés de larmes fixaient les tombes sans les voir. Je me forçais à lui répondre, d’une voix basse et presque inaudible : « Oui ».

Je levai alors mon visage vers le ciel. Mes paupières closes noyées de soleil, je me mis lentement à chanter cette berceuse italienne que fredonnait ma mère tous les soirs pour m’endormir. Ma voix se fit plus haute, plus claire. Papa disait que siffler le rendait heureux, comme si c’était ses soucis qu’il rejetait dans ses airs joyeux. Moi, tous les ans, je chantais pour eux. Le chagrin partait provisoirement en lambeaux et il ne me restait d’eux que les souvenirs heureux d’une époque révolue.

Ma voix s’évanouit progressivement et les oiseaux reprirent leurs trilles. Anthony et moi restâmes un long moment en silence, nostalgiques d’un temps où je croyais naïvement que mon Papa était un cadre ordinaire. J’eus ce petit sourire triste dont Vincento disait qu’il illuminait mon visage. Je me relevais en douceur et nous repartîmes, toujours mutiques. Nous rejoignîmes le couvert des arbres, puis le champ où l’hélicoptère nous attendait : les cerfs-volants d’Éole flottaient encore dans la légère brise du mois d’août, le blé presque mûr dorait encore les environs.

Le vol fut aussi calme et pensif que le trajet dans la forêt. Parfois, Anthony évoquait un souvenir de sa voix modulée de baryton et j’acquiesçais d’un signe de tête. Le retour me parut, comme toujours, plus court que l’aller et nous pûmes bientôt contempler de nouveau New York. Ses buildings aux hauteurs affolantes rivalisaient de courbes audacieuses. Les parois étaient entièrement faites en aquaglas, une matière révolutionnaire découverte en 2030. L’aquaglas faisait ressembler les façades à d’impressionnants fleuves verticaux, comme si de l’eau ruisselait indéfiniment le long d’une plaque de verre transparent. À la fois souple et résistante, cette matière permettait de donner aux édifices n’importe quelle forme, ou presque. Elle avait fait le bonheur des architectes et de l’environnement, car sa production provenait du recyclage du plastique. En effet, le pétrole était désormais réservé à une élite : il fallait donc réutiliser ce qui avait déjà été crée.

Nous passâmes soudain à proximité de l’Appartement, mais l’hélicoptère ne dévia pas de sa trajectoire. Mon oncle me fit un signe de tête et m’informa qu’il avait besoin de passer prendre quelque chose chez lui. Nous quittâmes bientôt le centre-ville et ses gratte-ciels pour obliquer vers la banlieue chic aux immenses propriétés. Le grand nombre de morts causé par la Pandémie de H5N13 avait permis aux promoteurs immobiliers de racheter à bas prix et de détruire les petites maisons serrées et de les remplacer par de grands jardins et des maisons écologiques. La prise de conscience des populations à propos de l’impact de l’activité humaine sur la Terre avait été tel que les gouvernements s’étaient vu contraints de faire les choses en grand. Les grandes sociétés pétrolières s’étaient soudainement découvertes d’immenses ressources budgétaires pour la recherche de nouvelles technologies non polluantes. Et la recherche, en toute logique, avait abouti à de nombreuses découvertes.

L’hélicoptère se posa tout en douceur sur l’emplacement qui lui était réservé dans le jardin de la propriété Montale. Mon oncle descendit de l’appareil et traversa d’un pas vif la pelouse parfaitement tondue, louvoyant entre la piscine à l’eau turquoise et les buissons dont pas une branche ne dépassait les autres. Nous entrâmes donc dans la maison de style victorien par la véranda. L'intérieur était agréablement frais, la lumière presque tamisée après la chaleur et la lumière écrasante du soleil au zénith. Le style était tout en lignes claires : meubles alliant pin blanc et verre, canapés et fauteuils en cuir saumon et tapis d'un brun doux sur du carrelage blanc.

           -         Papa ? C'est toi ?

Des pas légers dévalèrent l'escalier et une jeune femme noire, ses cheveux tressés entrechoquant leurs perles à chaque mouvement, apparut soudain dans le salon. Le Papillon avait provoqué chez ma tante une fausse-couche l'ayant rendue stérile ; mon oncle et elle avait alors décidé d'adopter un garçon et une fille, deux jumeaux originaires du Kenya. De par leurs ancêtres Massaï, ils étaient tous deux grands, élancés et leur peau d'un noir profond semblait attirer à eux la lumière, rendant leurs sourires d'autant plus rayonnants.

Isabella Montale eut justement un de ces sourires en voyant son père, mais fronça les sourcils d'un air interrogateur en m'apercevant. Fidèle au principe qui voulait que travail et vie privée ne se mélangeassent pas, mon oncle ne m'avait jamais présenté à sa famille.

-         Qui êtes-vous ?

 Je me contentai de sourire à mon tour et me tournai vers Anthony, attendant qu'il décidât sous quelle identité il me présenterait. Celui-ci masqua son embarras, hésita un instant puis répondit :

-         Isa, je te présente ton cousin Luka. Il est de passage à New-York.

Sa bonne humeur revint et elle improvisa une petite révérence.

-         Enchantée de te connaître, cousin.

Je m'éclaircis la voix et répondis :

-         Moi de même.

Nous étions en train de nous sourire (de façon un peu hésitante pour ma part) lorsque je vis des rides apparaître progressivement sur le front de mon oncle, ce qui ne présageait rien de bien réjouissant chez un parrain de la Mafia.

-         Nous sommes Mardi aujourd'hui, n'est-ce pas Luka ?

J'acquiesçai, conscient du problème, tandis qu'Isabella prenait un air légèrement coupable. Désormais furieux, Anthony attrapa sa fille par le bras et l'emmena dans la cuisine, que j'avais aperçue par la porte ouverte. Le chambranle trembla lorsqu'il claqua la porte et je ne pus m'empêcher de ressentir de la compassion. Je fermai les yeux et étendit mon ouïe. L'accroissement des six sens (l'intuition étant considérée comme le sixième) faisait partie des améliorations apportées par le Papillon. Je m'habituai rapidement au son des battements de mon coeur et me concentrai sur la conversation animée qui avait lieu dans la cuisine.

-         ... sèches encore les cours ?

-         C'est que... euh...

-         Alors ? As-tu une explication valable ?

Isabella soupira, sembla hésiter et pris finalement une grande inspiration :

-         Ben, en fait... Bon, la vérité c'est que le sujet de l'amphi de cet aprem, c'est l'influence croissante des sociétés secrètes mondialisées sur tous les domaines de la vie sociale, politique et économique. Il y a même une sous-partie spécifique sur la Cosa Nostra.

Il y eut un blanc durant lequel la jeune fille retint sa respiration, son cœur battant la chamade, puis mon oncle demanda avec une voix dont la  neutralité même effrayait :

-         Et en quoi cela justifie-t-il le fait de sécher ? Tu te penses déjà assez au courant ?

La voix d'Isa était un peu effrayée et me sembla se justifier lorsqu'elle répondit :

-         Non, ce n'est pas ça. C'est que les gens savent que tu as plusieurs fois été accusé d'être impliqué dans la Mafia. Je n'ai pas envie que le prof me pose des questions auxquelles je ne pourrais répondre sans mentir.

-         Tu as conscience que ce comportement ne fait qu'augmenter les soupçons ?

Les mots d'Anthony semblaient être un grondement, bas et menaçant.

-         Oui.

-         Alors retourne immédiatement en cours.

Il y eut un léger silence, puis la jeune fille reprit, d'une voix blanche mais ferme :

-         Je refuse.

-         Vraiment ? Et pourquoi cela ?

Le ton de mon oncle vibrait d'une inquiétante colère rentrée, maîtrisée. Le genre d'intonation qui ferait passer n'importe qui aux aveux. Isabella se racla la gorge, mais la douleur chargeait tout de même ses mots lorsqu'elle murmura :

-         Pourquoi ? Parce que je sais que mon père est un mafieux et je ne peux pas prétendre n'être au courant de rien. Je... Je ne veux pas mentir.

La tension baissa d'un cran, et j'entendis le père prendre sa fille dans ses bras. Il témoignait en quelques minutes de plus de gentillesse, de compréhension et d’amour que je n’en avais jamais perçu chez lui depuis ce funeste jour, dix ans plus tôt. Un long moment passa, où l’électricité de l’air se dissipa un peu plus.

-         Désolé, poussin. Ton père n’est pas vraiment un héros…

-         Pas grave. Je suis quand même fière de toi. Pour d'autres trucs.

Un moment de calme suivit durant lequel les dernières traces de tension s'évaporèrent, puis Isabella poussa un petit soupir amusé.

-         Faut dire aussi que se balader avec un mutant, ça ne peut qu’attirer l'attention. Tout le monde sait que leurs capacités en fond des hommes de mains idéaux. Même si c'est ton neveu, c'est pas écrit sur son front.

-         Tu ne me crois pas ? C'est ton cousin, je te le jure.

Le ton d'Anthony était peiné et sa fille s'empressa de le rassurer :

-         Non ! Je te crois ! Mais je te soupçonne de ne pas l'avoir présenté plus tôt parce qu'il travaille pour la Famille. J'ai tort ?

Un ange passa, puis mon oncle finit par avouer que son « poussin », décidément perspicace, avait tapé juste. Il ajouta que l'éloigner de ses derniers proches avait été un choix difficile qu'il regrettait. Un nouveau silence passa puis Isabella conclu :

-         Dommage. J'aurai pu me vanter auprès de mes copines d'avoir le mutant le plus sexy des USA comme cousin !

Mon oncle grogna tandis qu'un rire cristallin raisonnait dans la cuisine. Je les entendis se diriger vers la porte. Je me dépêchai alors de retrouver mon ouïe normale et tentai de me composer un visage neutre. Lorsque Montale senior et sa fille revinrent dans le salon, j'observais paisiblement le pilote de l'hélicoptère bavarder avec le jardinier. Je me tournai vers eux, tout à fait calme. En apparence du moins. En vérité, je bouillonnais intérieurement. Sexy, elle m'avait trouvé sexy... Vivant la plupart du temps avec des hommes, tous hétérosexuels, je n'avais encore jamais réalisé que l'on pouvait me trouver attirant. Les rares femmes que je fréquentais étaient toutes des assassins. et nous étions alors embarqués dans des missions qui laissaient peu de temps au badinage. Perdu dans ces pensées assez perturbantes, je ne vis même pas mon oncle monter l'escalier. Ce fut la voix de ma cousine qui me tira de mon ébahissement :

-         ... New York City ?

J'ouvris la bouche mais ne sus que répondre. Je devais avoir l'air particulièrement stupide, car elle eu un sourire en coin avant de répéter :

-         Pour quelle raison es-tu de passage dans notre charmante ville ?

Je n'avais heureusement guère à me creuser la cervelle pour trouver une réponse plausible : il me suffisait de dire la vérité. Je me raclai la gorge, répétai mentalement la phrase que j'avais prévue et la prononçai enfin :

-         Nous sommes allés sur les tombes de mes parents et de ma soeur. Cela fait dix ans aujourd'hui qu'ils sont morts.

Une expression de compassion pure se peignit sur le visage d'Isa, qui devait penser que ma voix rauque était due au chagrin. Elle me prit le bras et ses yeux humides témoignèrent de son chagrin, plus encore que l'excuse qu'elle me murmura. Elle avait l'air tellement triste que mon coeur se serra : une telle empathie était un phénomène que je n'avais encore jamais rencontré. Je m'étais plutôt attendu à la pitié que l'on m'accordait généralement. J'eus l’envie, terrible car incompréhensible, de lui expliquer que ce n'était pas sa faute, qu'elle n'était en rien responsable de leur mort. Je coinçai les mots dans ma gorge.

Heureusement, mon oncle brisa ce moment de gêne muette en descendant les marches qui craquèrent bruyamment sous son poids (son mètre 85 et ses 45 ans accusaient tout de même une carrure puissante, mi-muscle mi-graisse). Il tenait une boîte assez mystérieuse, dont le noir uniforme ne donnait aucun indice quant à son contenu, pas plus que sa forme oblongue. Une myriade de possibilités toutes aussi stupides les unes que les autres me traversèrent l'esprit : elle pouvait aussi bien contenir un fusil qu'un long archet ou encore une canne. Constatant mon intérêt pour ce qu'il tenait, Anthony eut le sourire goguenard de celui-qui-préparait-un-mauvais-coup-à-propos-du-contenu-de-la-boîte. J’échafaudai des hypothèses abracadabrantes : la boîte contenait un sceptre volé à un émir dont les pierres précieuses valaient une fortune et j’allais devoir le convoyer jusqu’à une banque Suisse. Je réfléchissais toujours à toute allure lorsque mon ventre m'indiqua en gargouillant bruyamment qu'il était 13h45. Il ponctua sa première protestation d’une seconde tout aussi sonore qui disait qu'il était largement temps d'aller manger. Tout aussi affamé que moi, mon oncle salua rapidement Isabella et m'entraîna dehors à sa suite, non sans me jeter un coup d’œil amusé au passage.


Le 04/12/10, Mam dit :

Le silence du vol ?

Le 05/12/10, Lucie dit :

Juste histoire de faire acte de présence : j'ai tout lu pour le moment et c'est pas mal !

Si tu as envie que je te commente ça en détails (sait on jamais que t'aie envie des conseils d'une autre scribouillarde), je pourrais te faire ça par mail tantôt. Mais pour l'instant je vais plutôt m'atteler à la rédaction de mon très charmant paper :P

Bisous !

Le 05/12/10, Melhyrïa dit :

Mam > Je corrige ça !

Lucie > J'accepte tout commentaire ! Courage pour ton paper =D

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